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UE: après un piteux 25e anniversaire, quel avenir pour Schengen?
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UE: après un piteux 25e anniversaire, quel avenir pour Schengen?
Face à l’annonce de restrictions aux frontières de pays de l’Union européenne, la Commission appelle à protéger le marché unique. Mais elle reste en retrait, puisque les frontières sont une prérogative des Etats.
Le 26 mars dernier, quelques jours après les premières mesures de confinement en Belgique et l’annonce de restrictions aux frontières du pays, et ailleurs dans l’Union européenne, en réponse à la crise Covid-19, le Luxembourg était le seul pays de l’UE à s’émouvoir de ce triste symbole pour célébrer, ce jour précis, les 25 ans de l’entrée en vigueur de l’Espace de libre circulation Schengen.
Le Grand-Duché « appelle à rétablir Schengen dans les meilleurs délais (…) et à veiller à préserver cet édifice, qui est à la fois le symbole de notre Union et de nos libertés, et qui est devenu une des conditions de notre solidarité et de notre prospérité », écrivait alors le ministre luxembourgeois des affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn.
La Commission, de son côté, veillait à ménager la chèvre et le chou, appelant à protéger le marché unique européen mais en restant en retrait, puisque les frontières sont une prérogative des Etats. Bien qu’en en conservant la compétence, les Etats de Schengen (22 pays de l’UE plus l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein) ne peuvent rétablir des contrôles ou autres restrictions que s’ils respectent un certain nombre de conditions. Par exemple, ils doivent en démontrer la nécessité, la proportionnalité, l’efficacité ou encore le fait qu’aucune mesure alternative moins intrusive ne produirait les mêmes effets. Ces conditions n’ont pas été respectées pour le Covid-19.
« Je pense que les Etats membres ont agi un peu comme les individus. Quand la crise a commencé, tout le monde s’est précipité au supermarché pour acheter des pâtes et du papier toilette et est rentré à la maison en verrouillant plus ou moins ses portes. Les Etats ont agi un peu de la même manière », a d’ailleurs dit, mercredi matin, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson. Mais la Commission elle-même n’a pas suffisamment protégé l’acquis libre circulation, estiment les experts que nous avons interrogés. Et sortir de la situation en levant les restrictions aux frontières intérieures de l’UE sans faire davantage de mal à cet acquis sera compliqué.
Sergio Carrera: «Les règles de Schengen sont déjà claires»
Sergio Carrera a étudié la légalité des restrictions aux frontières imposées lors de la crise Covid-19. Le droit existant doit être respecté, selon lui.
Sergio Carrera a étudié l’impact des mesures Covid-19 sur l’Espace Schengen pour le think tank CEPS. Il s’attend à voir des citoyens faire valoir leurs droits devant la Justice, soulignant de nombreuses violations dans ces restrictions aux frontières.
Votre étude suggère que vu la base juridique utilisée pour introduire des frontières, les Etats ne pouvaient le faire au-delà de mi-mai…
On l’a vu dans le passé avec la crise des réfugiés, les Etats instrumentalisent le Code Schengen au-delà de ce qui est prévu juridiquement. Ils étirent le droit au point de ne plus être en conformité et cela rend la tâche de la Commission très difficile. Mi-mai était le maximum possible légalement, mais il se peut qu’ils aient changé de base juridique entre-temps (c’est le cas de la Belgique, NDLR). La santé publique n’est pas prévue comme base pour déroger à la libre circulation. Il est davantage question de sécurité. Aucun Etat n’a conduit une évaluation significative, ni même une mise à jour régulière, de l’efficacité de la mesure, de sa nécessité, de sa proportionnalité. Certains pays ont même introduit des tests de santé pour pouvoir entrer dans le pays. Cela ne devrait pas être un motif d’interdiction d’entrer sur le territoire, les Européens ont le droit d’avoir accès aux soins de santé dans un autre Etat que le leur ! Donc cela touche à d’autres règles européennes que le Code Schengen, aussi le droit à l’asile, par exemple.
La fermeture des frontières n’a été qu’une réponse symbolique à une pandémie qui ne connaît pas de frontière.
L’espace Schengen va-t-il sortir affaibli de cette expérience ?
Le fait est que les règles sont très claires et elles servent leur objectif, elles fonctionnent depuis un long moment, nous n’avons pas besoin de les réformer. Ce que cette crise a montré, c’est qu’en cas de crise, les Etats agissent dans leur coin. Donc il est important qu’ils continuent à justifier leurs décisions (relatives à leurs frontières, NDLR), qu’ils aient des comptes à rendre pour ce qu’ils font. S’il y a d’autres pandémies, il faut cesser d’utiliser les frontières comme réponse symbolique. Depuis 2013, lors de la réforme de la gouvernance de Schengen, ils ont perdu de la marge de discrétion et n’aiment pas avoir à justifier leurs actes. C’est contre-productif. Quand ils brisent les règles, il faut que la Commission les poursuive devant la Cour de Justice de l’UE. Il faut arrêter la diplomatie avec eux, c’est à la Cour de décider ce qui est légal ou pas.
Personne n’a défendu Schengen, à part peut-être les citoyens qui se sont retrouvés lésés par la fermeture des frontières. Peut-être est-ce à eux de faire valoir leurs droits ?
C’est tout le principe de vivre dans un Etat de droit. On voit déjà des cas de citoyens qui ont été affectés par cette mesure et qui ont déposé plainte devant la Cour européenne des droits de l’Homme. On va voir de nombreux litiges, parce que leurs droits ont été violés. D’une certaine manière, cette crise a fait réaliser ce que l’UE a fait pour nous.
Alberto Alemanno: «La dynamique de Schengen va rester impactée pendant des mois»
Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris, trouve que l’absence de réponse forte de la Commission est très grave.
Nous avons vécu le rêve européen. Y a-t-il un politicien qui va défendre les frontières ouvertes ? », s’interrogeait dans le Guardian, la semaine dernière, Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris.
Est-ce que cette crise a finalement démontré que d’un point de vue démographique au moins, les Etats nations n’existaient plus ?
Effectivement, 17 millions donc environ 4% des Européens, résident dans un autre Etat membre. Ils représentent le signe le moins visible mais le plus concret de l’intégration européenne : c’est grâce à l’Europe qu’ils ont pu bâtir ces vies. Trois à cinq millions de plus vivent dans des régions transfrontalières. Mais 50% de la population de l’UE est exposée à un autre Etat sur une base annuelle, que ce soit parce qu’elle y a des amis, de la famille ou qu’elle y voyage une fois par an. Donc tous ces gens sont affectés par l’Europe. Ce sont des données partielles, en outre. Comme il n’y a pas de contrôle aux frontières, on ne sait pas combien de gens vivent réellement au-delà des frontières. Leur mentalité est de dire que l’Etat-nation n’a pas beaucoup à leur offrir, mais paradoxalement, l’Europe ne les protège pas.
Votre tribune dit que la fermeture des frontières est due à un manque de confiance entre Etats…
La décision leur appartient. Pour éviter une situation comme celle que l’on connait aujourd’hui, les conditions sont réunies pour attribuer plus de compétences à la Commission. Il faut consolider Schengen et donner des pouvoirs de décisions directes et de coordination. On s’est retrouvé dans une situation grise (en matière de légalité de ces fermetures, NDLR). La Commission a eu peur d’exercer ses prérogatives actuelles dans ces circonstances, mêmes quand les mesures aux frontières étaient complètement discriminatoires. Beaucoup d’Etats ont introduit des restrictions par réciprocité avec ceux qui l’avaient fait avant eux. Cette réciprocité n’avait jamais eu sa place, car la coopération entre eux doit être basée sur la confiance mutuelle. Et personne n’a écouté la Commission. Evidemment, elle n’a même pas menacé un Etat (de mesures devant la Cour, NDLR), je trouve cela très grave. Il y a une autre raison structurelle : les leaders politiques en Europe sont élus par leur pays d’origine. Pourquoi devraient-ils prendre en considération les intérêts des citoyens au-delà de la frontière ? Quelle est l’incitation ? Personne ne veut défendre ce que l’Europe a été et ce qu’elle n’est plus. Cela va prendre des mois et je ne pense pas que l’on va revenir au même stade de liberté. Il y a un nouveau débat sur les tests de santé pour voyager. Tout cela va changer la dynamique de Schengen donc c’est très grave et, à nouveau, la Commission n’est pas en train d’anticiper.
Mais vous estimez tout de même qu’il y a de l’espoir…
Oui, dans la mesure où, finalement comme Jean Monnet l’a dit, les crises montrent les faiblesses de l’Europe et permettent aux Etats de combler ces vices structurels. Il reste la crise démocratique, c’est plus complexe, mais c’est le défi de la Conférence à venir sur l’avenir de l’Europe. Je reste positif.
Le 26 mars dernier, quelques jours après les premières mesures de confinement en Belgique et l’annonce de restrictions aux frontières du pays, et ailleurs dans l’Union européenne, en réponse à la crise Covid-19, le Luxembourg était le seul pays de l’UE à s’émouvoir de ce triste symbole pour célébrer, ce jour précis, les 25 ans de l’entrée en vigueur de l’Espace de libre circulation Schengen.
Le Grand-Duché « appelle à rétablir Schengen dans les meilleurs délais (…) et à veiller à préserver cet édifice, qui est à la fois le symbole de notre Union et de nos libertés, et qui est devenu une des conditions de notre solidarité et de notre prospérité », écrivait alors le ministre luxembourgeois des affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn.
La Commission, de son côté, veillait à ménager la chèvre et le chou, appelant à protéger le marché unique européen mais en restant en retrait, puisque les frontières sont une prérogative des Etats. Bien qu’en en conservant la compétence, les Etats de Schengen (22 pays de l’UE plus l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein) ne peuvent rétablir des contrôles ou autres restrictions que s’ils respectent un certain nombre de conditions. Par exemple, ils doivent en démontrer la nécessité, la proportionnalité, l’efficacité ou encore le fait qu’aucune mesure alternative moins intrusive ne produirait les mêmes effets. Ces conditions n’ont pas été respectées pour le Covid-19.
« Je pense que les Etats membres ont agi un peu comme les individus. Quand la crise a commencé, tout le monde s’est précipité au supermarché pour acheter des pâtes et du papier toilette et est rentré à la maison en verrouillant plus ou moins ses portes. Les Etats ont agi un peu de la même manière », a d’ailleurs dit, mercredi matin, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson. Mais la Commission elle-même n’a pas suffisamment protégé l’acquis libre circulation, estiment les experts que nous avons interrogés. Et sortir de la situation en levant les restrictions aux frontières intérieures de l’UE sans faire davantage de mal à cet acquis sera compliqué.
Sergio Carrera: «Les règles de Schengen sont déjà claires»
Sergio Carrera a étudié la légalité des restrictions aux frontières imposées lors de la crise Covid-19. Le droit existant doit être respecté, selon lui.
Sergio Carrera a étudié l’impact des mesures Covid-19 sur l’Espace Schengen pour le think tank CEPS. Il s’attend à voir des citoyens faire valoir leurs droits devant la Justice, soulignant de nombreuses violations dans ces restrictions aux frontières.
Votre étude suggère que vu la base juridique utilisée pour introduire des frontières, les Etats ne pouvaient le faire au-delà de mi-mai…
On l’a vu dans le passé avec la crise des réfugiés, les Etats instrumentalisent le Code Schengen au-delà de ce qui est prévu juridiquement. Ils étirent le droit au point de ne plus être en conformité et cela rend la tâche de la Commission très difficile. Mi-mai était le maximum possible légalement, mais il se peut qu’ils aient changé de base juridique entre-temps (c’est le cas de la Belgique, NDLR). La santé publique n’est pas prévue comme base pour déroger à la libre circulation. Il est davantage question de sécurité. Aucun Etat n’a conduit une évaluation significative, ni même une mise à jour régulière, de l’efficacité de la mesure, de sa nécessité, de sa proportionnalité. Certains pays ont même introduit des tests de santé pour pouvoir entrer dans le pays. Cela ne devrait pas être un motif d’interdiction d’entrer sur le territoire, les Européens ont le droit d’avoir accès aux soins de santé dans un autre Etat que le leur ! Donc cela touche à d’autres règles européennes que le Code Schengen, aussi le droit à l’asile, par exemple.
La fermeture des frontières n’a été qu’une réponse symbolique à une pandémie qui ne connaît pas de frontière.
L’espace Schengen va-t-il sortir affaibli de cette expérience ?
Le fait est que les règles sont très claires et elles servent leur objectif, elles fonctionnent depuis un long moment, nous n’avons pas besoin de les réformer. Ce que cette crise a montré, c’est qu’en cas de crise, les Etats agissent dans leur coin. Donc il est important qu’ils continuent à justifier leurs décisions (relatives à leurs frontières, NDLR), qu’ils aient des comptes à rendre pour ce qu’ils font. S’il y a d’autres pandémies, il faut cesser d’utiliser les frontières comme réponse symbolique. Depuis 2013, lors de la réforme de la gouvernance de Schengen, ils ont perdu de la marge de discrétion et n’aiment pas avoir à justifier leurs actes. C’est contre-productif. Quand ils brisent les règles, il faut que la Commission les poursuive devant la Cour de Justice de l’UE. Il faut arrêter la diplomatie avec eux, c’est à la Cour de décider ce qui est légal ou pas.
Personne n’a défendu Schengen, à part peut-être les citoyens qui se sont retrouvés lésés par la fermeture des frontières. Peut-être est-ce à eux de faire valoir leurs droits ?
C’est tout le principe de vivre dans un Etat de droit. On voit déjà des cas de citoyens qui ont été affectés par cette mesure et qui ont déposé plainte devant la Cour européenne des droits de l’Homme. On va voir de nombreux litiges, parce que leurs droits ont été violés. D’une certaine manière, cette crise a fait réaliser ce que l’UE a fait pour nous.
Alberto Alemanno: «La dynamique de Schengen va rester impactée pendant des mois»
Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris, trouve que l’absence de réponse forte de la Commission est très grave.
Nous avons vécu le rêve européen. Y a-t-il un politicien qui va défendre les frontières ouvertes ? », s’interrogeait dans le Guardian, la semaine dernière, Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris.
Est-ce que cette crise a finalement démontré que d’un point de vue démographique au moins, les Etats nations n’existaient plus ?
Effectivement, 17 millions donc environ 4% des Européens, résident dans un autre Etat membre. Ils représentent le signe le moins visible mais le plus concret de l’intégration européenne : c’est grâce à l’Europe qu’ils ont pu bâtir ces vies. Trois à cinq millions de plus vivent dans des régions transfrontalières. Mais 50% de la population de l’UE est exposée à un autre Etat sur une base annuelle, que ce soit parce qu’elle y a des amis, de la famille ou qu’elle y voyage une fois par an. Donc tous ces gens sont affectés par l’Europe. Ce sont des données partielles, en outre. Comme il n’y a pas de contrôle aux frontières, on ne sait pas combien de gens vivent réellement au-delà des frontières. Leur mentalité est de dire que l’Etat-nation n’a pas beaucoup à leur offrir, mais paradoxalement, l’Europe ne les protège pas.
Votre tribune dit que la fermeture des frontières est due à un manque de confiance entre Etats…
La décision leur appartient. Pour éviter une situation comme celle que l’on connait aujourd’hui, les conditions sont réunies pour attribuer plus de compétences à la Commission. Il faut consolider Schengen et donner des pouvoirs de décisions directes et de coordination. On s’est retrouvé dans une situation grise (en matière de légalité de ces fermetures, NDLR). La Commission a eu peur d’exercer ses prérogatives actuelles dans ces circonstances, mêmes quand les mesures aux frontières étaient complètement discriminatoires. Beaucoup d’Etats ont introduit des restrictions par réciprocité avec ceux qui l’avaient fait avant eux. Cette réciprocité n’avait jamais eu sa place, car la coopération entre eux doit être basée sur la confiance mutuelle. Et personne n’a écouté la Commission. Evidemment, elle n’a même pas menacé un Etat (de mesures devant la Cour, NDLR), je trouve cela très grave. Il y a une autre raison structurelle : les leaders politiques en Europe sont élus par leur pays d’origine. Pourquoi devraient-ils prendre en considération les intérêts des citoyens au-delà de la frontière ? Quelle est l’incitation ? Personne ne veut défendre ce que l’Europe a été et ce qu’elle n’est plus. Cela va prendre des mois et je ne pense pas que l’on va revenir au même stade de liberté. Il y a un nouveau débat sur les tests de santé pour voyager. Tout cela va changer la dynamique de Schengen donc c’est très grave et, à nouveau, la Commission n’est pas en train d’anticiper.
Mais vous estimez tout de même qu’il y a de l’espoir…
Oui, dans la mesure où, finalement comme Jean Monnet l’a dit, les crises montrent les faiblesses de l’Europe et permettent aux Etats de combler ces vices structurels. Il reste la crise démocratique, c’est plus complexe, mais c’est le défi de la Conférence à venir sur l’avenir de l’Europe. Je reste positif.
CopernicAdministrateur
Re: UE: après un piteux 25e anniversaire, quel avenir pour Schengen?
il faut revenir à une europe des nations
papacozMembre de BREZOLAND
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